Gervais Koffi DJONDO : Fondateur de la compagnie aérienne “ASKY” et co-Fondateur de la banque “ECOBANK”

 “l’Afrique d’abord”, “Africa First” est le livre qui fait sortir l’octogénaire GERVAIS KOFFI DJONDO de son silence. Il veut le dire, au crépuscule de sa vie, “l’Afrique d’abord” lui tient à coeur même à 85 ans.

“Africa First” est le titre de son dernier ouvrage paru le jeudi 4 Juillet 2019 aux éditions “Présence Africaine”. Il est le fondateur de la compagnie aérienne panafricaine “ASKY” et co-fondateur de la toute première banque panafricaine « Ecobank« . A 85 ans, ses compétences restent encore sur les lèvres. 

En 300 pages, l’oeuvre part à la découverte de la biographie d’un homme qui a réussi à réaliser des prouesses. C’est l’histoire d’un jeune homme né d’un père commerçant et d’une mère plutôt rigoureuse. Nous sommes dans les années 30. Une période au cours de laquelle peu de personnes s’intéressent aux études. Gervais Koffi DJONDO, passionné par la comptabilité, a réussi à gravir les échelons du monde de la finance. L’oeuvre raconte sa passion pour la création d’entreprises et ceci à l’échelle panafricaine.

Le livre est entièrement écrit par Elikia M’Bokolo, historien congolais à qui l’octogénaire s’est appliqué à  se confier depuis 4 ans. Écrivant l’avant propos de l’oeuvre, l’historien expose cette exception dans les luttes panafricaines.


Dans la vision de Gervais Koffi DJONDO il est important de créer des mécanismes économiques qui favoriseront la mise en évidence des expertises africaines dans plusieurs départements. De quoi attirer des marchés de partout le monde.

RA : Vous avez dit dans ce livre que vous êtes la première personne à installer l’horloge qui marque l’arrivée et le départ des ouvriers, en 1964 quand vous étiez le directeur de l’allocation familiale. Comment avez-vous réussi, à cette époque là, à l’installer dans un environnement où vous aviez des femmes de personnalités importantes comme employées ?

Gervais Koffi DJONDO : Le problème de l’horloge pointeuse est qu’il fallait le faire parce que la discipline est importante dans une entreprise. Venir à l’heure… Et ce que j’ai fais en installant l’horloge pointeuse, c’est me mettre aussi dedans..

RA : La rigueur a commencé par vous ?

GKD : Oui par moi même. Donc quand je venais à 6h du matin au bureau, je pointais. Les autres commençaient à venir à 7h, 7h30. Donc tout le monde pointait. Cela n’a pas été facile, c’est vrai ce que vous dites. J’avais les femmes de personnalités importantes dans le travail. Moi même je pointais et c’est difficile de ne pas le faire. C’est vrai aussi que le Président Eyadema appréciait tout ça sans que je le sache. C’est alors qu’il m’a appelé un jour pour me dire que je vais être le préfet de Lomé pour mettre de l’ordre. 

RA : Et dans le livre vous disiez : “Ce militaire que je ne connaissais pas m’appelle un jour et me dit : Mr Djondo vous faites très bien, je vous nomme préfet.”

GKD : C’est exactement ce qui s’est passé. C’était la première fois que je le voyais. Il m’a appelé au camp, j’étais assis devant lui, j’avais peur et je me demandais ce que j’avais fait. Est-ce l’horloge pointeuse qui m’a amené là ? Mais non, au contraire, il avait l’air d’apprécier. C’est ainsi donc qu’il m’a nommé préfet de Lomé et j’ai cumulé les deux postes.

RA : On va parler maintenant du début de votre carrière au Niger. Quand on vous a proposé votre premier contrat, vous n’avez pas cherché à savoir votre salaire. C’est tout de suite le défi qui vous a intéressé. Pour vous, à partir du moment où on a son premier contrat, on n’a pas besoin d’être trop regardant sur le salaire ?

GKD : J’ai été surpris par cette proposition parce que c’est uniquement les expatriés français qui étaient dans l’administration de cette grande entreprise à cette époque. Et donc, j’ai pris mon travail à cœur. Je regardais effectivement mes frères nigériens. Ce n’était pas facile pour eux. Mais je faisais mon possible pour les aider. J’étais logé dans le même centre que les expatriés. Je n’avais pas à me plaindre. J’ai travaillé jusqu’au bout. J’ai été nommé par la suite directeur administratif et financier de SOTRA qui était une société française à l’époque. Et c’est à cette époque que mon engagement syndical s’est encore accru. Et c’est d’ailleurs ce qui a valu mon renvoi de cette société. On ne comprenait pas comment un cadre pouvait soutenir des mouvements syndicaux.

RA : Votre livre nous dit que c’est à partir de ce moment que le sang du panafricanisme a commencé à couler dans vos veines.

GKD : Il y avait Djibo Bakary qui était un grand syndicaliste là-bas. Et les ouvriers de l’entreprise dans laquelle je travaillais étaient un peu malmenés. Je ne pouvais pas supporter tout cela. J’avais du mal parfois à signer certaines décisions. Alors, j’ai pris la cause de nos frères nigériens et de là, j’ai été parmi les premiers syndicalistes qui ont négocié la première convention collective, la toute première convention collective de l’Afrique francophone. Nous avons fait trois à quatre mois à Dakar (au Sénégal) pour négocier. Ce qui n’a pas été facile du tout. Et après cette phase, j’ai cherché à rentrer.

RA : C’est là que vous avez eu la proposition d’aller étudier à l’Ecole nationale d’Outre-mer en France. A cette époque vous avez été victime de discrimination car on vous a coupé votre bourse d’étude du fait de l’engagement politique de votre oncle. Cela a été jusqu’à une demande d’expulsion à votre encontre. C’est à ce moment là que vous faites la rencontre de Mr Foccart. Comment le mariage entre le françafricain (M. Foccart) et vous (M. Djondo) le panafricaniste a t-il pu fonctionner ?

GKD : Jacques Foccart  m’a pris rendez-vous et m’a accompagné chez De Gaulle parce que l’affaire était délicate. Sylvanus Olympio menaçait au niveau de ses relations avec la France.  De Gaulle m’a demandé de laisser tomber l’École nationale d’Outre-mer. Et c’est là qu’ils m’ont proposé l’Institut des sciences sociales. Ce que j’ai accepté. Ils m’ont aidé à terminer là-bas. C’est après les événements qui ont mis fin au règne d’Olympio que Grunitzky est venu à Paris. Il m’a demandé absolument de rentrer. Je n’ai pas voulu mais finalement il est revenu une autre fois et m’a mis dans son avion pour rentrer.  

RA : Et pour vous, le panafricanisme doit rentrer dans le concret. C’est la création d’entreprise et d’emplois. Cela m’amène à aborder l’un des plus gros points de votre succès : Ecobank. Ecobank aujourd’hui en chiffres, c’est 33 pays, 40 nationalités plus 18 000 emplois. Ce projet à commencé par vous et Mr Lawson Adeyemi. A l’époque, l’idée a germé parce qu’il fallait trouver des fonds pour pouvoir investir, de l’argent pour aider les africains. Et c’est comme çà que vous avez commencé à frapper aux portes. Vous pouvez nous raconter un peu cette  époque là ?

GKD : Une fois arrivé à Ecobank, j’ai été nommé aussi Président de la chambre de commerce Togo [en 1978]. Les chambres de commerce francophones avaient l’habitude de se retrouver tous les ans en France. On parlait de tout et de rien. Cette réunion m’a choqué. Je me sui dit : nous devons faire quelque chose entre nous africains. C’est ainsi que j’ai vu mon ami Adeyemi Lawson qui était président de la chambre de commerce au Nigéria à l’époque. J’ai vu également celui de Dakar, de la Côte d’Ivoire, et du Ghana pour les convaincre que nous devions faire quelque chose. A savoir, UNE FÉDÉRATION DES CHAMBRES DE COMMERCE DE TOUTE L’AFRIQUE DE L’OUEST pour les réunions annuelles. Il m’ont suivi. L’idée de cette banque est venue par là. 

Nous nous demandions ce que nous devions faire et nous avons tout de suite parlé de banque. Et voilà comment les choses ont commencées. Effectivement, nous avons créé une société de promotion qui a fait des études de faisabilité et qui a fait la répartition du capital par pays. Et il fallait lever 50 millions de dollars pour les 1 200 actionnaires. C’est à ce moment là que nous allons prendre le bâton de pèlerin, Adeyemi et moi, pour demander des rendez-vous à tous les chefs d’états de la région, pour leur parler de ce projet. Dieu merci la CEDEAO venait d’être créée.

Donc nous avons dit que c’est un projet pour soutenir la CEDEAO, ce qui était absolument normal. C’est vrai, nous sommes allés en Côte d’Ivoire. Nous avions rendez-vous en Côte d’Ivoire et à Dakar. Adeyemi et moi avons été reçus par le président Houphouët qui a été absolument réceptif à la cause. Effectivement, il n’a pas voulu, comme d’habitude à la sortie, que nous prenions la parole. Il a pris la parole pour nous soutenir, pour  nous féliciter et déclarer que c’est la première fois qu’il rencontre des africains qui sont venus non pas pour lui demander de l’argent mais lui montrer un projet clair et très poussé. 

Il a invité tous ses compatriotes à soutenir ce projet. Quand nous avons fait les répartitions au niveau du capital par pays, nous avons mis la Côte d’Ivoire juste après le Nigéria, à cause de leur poids et pour être justes.

Quand nous sommes partis à Dakar, à 2h du matin, le président Houphouët m’a appelé. Je ne comprenais pas, j’ai eu peur. “Comment a t-il su que nous étions dans cet hôtel ?” Il m’a dit qu’il enverrait son avion le lendemain matin. Il voulait me voir et qu’on déjeune ensemble. Je n’ai pas pu dormir du reste de la nuit. J’ai eu la présence d’esprit de lui demander si je devais venir avec mon ami. Mais il a dit non, il valait mieux que je sois seul d’abord. 

Nous sommes partis de l’aéroport  à 6h30. Et à 8h45, on était à Abidjan. Sa voiture était là et on m’a amené chez lui. J’avais très peur. Il est venu s’assoir à côté de moi  en répétant ce qu’il avait dit la veille : “C’est un très bon projet mais il serait mieux de situer ça au niveau de l’Afrique francophone”. Alors là, mon cœur a failli éclater. [RD : vous étiez dans une logique régionale]. Je n’arrivais pas à réagir ayant été choqué par ses propos. Je lui ai alors dit que nous avons tout examiné avant de faire ce projet pour soutenir la CEDEAO. Il n’a rien pu dire. Je ne voulais pas aller voir tout de suite mes amis pour leur raconter ma mésaventure. Je me suis mis à enquêter pour comprendre ce qui avait pu créer ce retournement.

  Vous savez, lorsqu’il est passé à la télé pour nous soutenir après notre visite, ces déclarations ont effrayé les français qui travaillaient là-bas. Ils avaient tous les marchés toutes les banques à 99%. Ils ont fait appel à Paris. Paris a délégué quelqu’un qui est venu le soir même de notre passage. Et il est resté avec lui jusqu’à 1h du matin pour pouvoir le convaincre. Donc j’ai compris l’appel de 2h du matin. La situation est restée telle quelle.

Mais je dois avouer que le président Houphouët nous a beaucoup soutenus par la suite. Nous n’avons pas pu avoir, au niveau des actions, le montant que nous avions fixé pour la Côte d’Ivoire, malheureusement. Mais, par exemple, j’ai voulu que la banque de la CEDEAO soit un actionnaire de référence dans le capital. Donc nous leur demandions 10 millions de dollars. Et ils ne les donnaient pas. Donc je lui ai expliqué tout ça. Et un jour, il est arrivé à Lomé, m’a fait appeler avec Eyadema. Ils ont appelé le directeur de la banque et lui ont demandé de nous acheter les actions du projet ECOBANK. C’est ainsi que la CEDEAO  a donné tout de suite 5 millions de dollars. Cela n’a pas été facile.

RA : Et vous avez finalement réussi à le faire. J’ai rappelé tout à l’heure les chiffres en disant que, grâce à cette action, nous avons tout de même 18 000 employés à ECOBANK, 40 pays concernés. Ceci explique encore l’envergure panafricaine de la chose. De succès en succès on se retrouve aujourd’hui avec ASKY. ASKY a démarré avec, dans un premier temps, M. Yayi Boni, qui était directeur de la BOAD, et puis Charles Konan Banny, qui lui était gouverneur de la BCEAO. Dans la nostalgie de Air Afrique, il fallait trouver des gens sérieux, rigoureux et talentueux. C’est comme cela que le choix c’est porté sur vous. Et aujourd’hui on voit le résultat : d’un côté ECOBANK et de l’autre ASKY.

M. DJONDO, merci beaucoup. Nous n’avions pas imaginé que nous aurions eu une discussion aussi longue et aussi riche car vous nous aviez dit que la mémoire vous lâche. Mais ce fut un plaisir.

Gervais Koffi DJONDO : Merci

Source : interview de Gervais Koffi DJONDO par André Amevoh (Écho du Togo), retranscrite et remaniée

A lire aussi  : https://fr.wikipedia.org/wiki/Gervais_Koffi_Djondo

 


Vidéo digitale - afrodigimag.com  ECHO DU TOGO : Interview de Gervais Koffi DJONDO

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